ESPACE POPULATIONS SOCIÉTÉS 1984-11 pp. 25-34
LA NAISSANCE
PALSKY G
Université de Paris I
DE LA DEMOCARTOGRAPHIE
ANALYSE HISTORIQUE ET SEMIOLOGIQUE
En 1903, lorsqu'Emmanuel de Martonne examine les procédés de représentation du peuplement, dans sa thèse complémentaire sur la répartition de la population en Valachie', il ne mentionne que peu de cartes françaises. Encore s'agit-il pour la plupart d'œuvres postérieures à 1875, et qui sont rarement le fait de géographes.
Charles du Bus, qui dresse en 1931 un bilan de la démocartographie, signale la curiosité tardive et bien modérée à l'endroit de ces cartes dans le domaine géographique2.
Pourtant, c'est au début du XIXe siècle, bien avant les études de Levasseur sur la population française, ou les cartes démographiques élaborées dans le cadre de Y école de géographie régionale, que l'essentiel des moyens graphiques nécessaires pour traduire les faits de peuplement se sont mis en place, accompagnant le plus vaste mouvement de promotion d'une cartographie thématique.
Jusq'au XVIIIe siècle, l'objet privilégié de la cartographie reste la topographie. La seule véritable tradition de cartographie thématique est du ressort de la géographie naturelle: magnétisme, hydrographie, ou minéralogie. «L'épistémè classique s'articule selon des lignes qui n'isolent en aucune manière un domaine propre et scientifique de l'homme » 3 : le cartographe ignore les phénomènes de nature démographique, et corrélativement toutes quantités autres que les distances et les altitudes. Pourquoi les figurerait-il, demande le Père de Dainville, puisque personne autour de lui n'y porte intérêt? «les meilleures cartes parviennent à représenter avec exactitude la répartition et l'étendue des lieux habités, mais ne se soucient pas d'exprimer l'ordre de grandeur de la population. La quantité n'a guère encore, en cartographie, que deux dimensions. »*.
Le souci de localiser et de définir prime celui d'évaluer ou de compter. La description géométrique du monde, objective et statique, demeure prioritaire. Elle triomphe en 1802, lorsqu'une commission réunie à l'initiative du Ministère de la Guerre, se préoccupe de donner à la topographie «un langage uniforme et commun, dégagé de l'arbitraire», notamment en prescrivant l'usage exclusif de la projection zénithale.
Pourtant, avec les travaux d'Expilly, Messance ou Moheau, sur la population et son évolution, se manifeste «la vitalité d'une discipline qu'on n'appelle pas encore démographie, mais qui atteint à la veille de la Révolution une sorte de première maturité. »5 D'autre part, «très progressivement au cours du XVIIIe siècle, la notion et l'utilité des statistiques se précisent »8 : relevés, enquêtes et dénombrements se multiplient, en relation avec un pouvoir plus fort et plus centralisé, et la conscience de certains ministres, tels qu'Orry ou Nec- ker, du rôle des connaissances statistiques en tant que moyen de gouvernement.