On attribua la paternité du sonnet qui déclencha les hostilités au duc de Nevers. C’était une maligne et spirituelle analyse, aussi exacte que peut l’être une parodie. Le premier tercet, à propos duquel la lutte prit le plus de vivacité, n’était pas seulement une plaisanterie assez peu délicate contre une actrice petite, grosse et blonde, Anne d'Ennebaut, l’arrière-petite-fille de Montfleury et femme de Nicolas Desmares. C’était surtout une allusion au reproche adressé à Racine d’avoir fait Hippolyte amoureux sans raison ni vraisemblance.
Dans un fauteuil doré, Phèdre, tremblante et blême,
Dit des vers où d’abord personne n’entend rien.
Sa nourrice lui fait un sermon fort chrétien
Contre l’affreux dessein d’attenter sur soi-même.
Hippolyte la hait presque autant qu’elle l’aime ;
Rien ne change son cœur et son chaste maintien.
Sa nourrice l’accuse, elle s’en punit bien.
Thésée est pour son fils d’une rigueur extrême.
Une grosse Aricie, au teint rouge, aux crins blonds,
N’est là que pour montrer deux énormes tétons,
Que, malgré sa froideur, Hippolyte idolâtre.
Il meurt enfin, traîné par ses coursiers ingrats,
Et Phèdre, après avoir pris de la mort-aux-rats,
Vient, en se confessant, mourir sur le théâtre.
Que le duc de Nevers ait ou non été l’auteur de cette méchanceté versifiée, c’est contre lui que les amis de Boileau et de Racine, sinon, comme on le crut, Boileau et Racine eux-mêmes, dirigèrent leur réponse, sous la forme d’un sonnet reprenant les mêmes rimes. Nevers, sous le nom de Damon, n’y était pas seulement raillé de ses prétentions ou de son mauvais goût littéraire ; il était attaqué dans sa vie aventureuse et galante et accusé de mœurs incestueuses.
Cette réponse violente et injurieuse fut désavouée par Racine et Boileau qui en nommèrent plus tard les auteurs : le comte de Fiesque (Jean-Louis-Marie, né vers 1647-† 1708, fils de Charles-Léon), le marquis d’Effiat (Antoine Coëffier-Ruzé d'Effiat, 1639-1719, proche de Monsieur, fils de Martin et petit-fils d'autre Antoine), Guilleragues, de Manicamp (Bernard de Longueval marquis de Manicamp, vers 1620-1684) ; elle leur attira néanmoins, de la part du duc de Nevers, une vive et hautaine réplique sous la forme d’un troisième sonnet, toujours sur les mêmes rimes, dont il est facile d’excuser les conclusions menaçantes.
On dit que, des menaces, on passa aux faits, et la mésaventure de l’ami de Racine fut racontée toujours sur les mêmes rimes, par P. Louis de Sanlecque pour faire sa cour au duc de Nevers :
Dans un coin de Paris, Boileau tremblant et blême,
Fut hier bien frotté, quoiqu’il n’en dise rien.
Voilà ce qu'a produit son style peu chrétien.
Disant du mal d'autrui, l'on s'en fait à soi-même.
« L’affaire des sonnets », qui devenait une affaire de bouts-rimés, prit fin par l’intervention du grand Condé[3], qui déclara hautement mettre les deux poètes menacés sous sa protection.
Jean Racine (préf. Georges Forestier), Œuvres complètes, t. I : Théâtre - Poésie, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » (no5) (1re éd. 1999), 1802 p. (ISBN978-2-070-11561-7), « Phèdre et Hippolyte ».