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Une sirène (engrec ancien : σειρήν / seirḗn[1], en latin : siren) est une créature légendaire mi-femme mi-poisson du folklore médiéval nord-européen.
On distingue les sirènes pisciformes (avec un demi-corps de poisson) du Moyen-Âge européen, des sirènes aviformes (avec un demi-corps d'oiseau) de la mythologie grecque, même si ces deux créatures marines féminines ont en commun l'envoûtement des marins.
Le nom de sirène s'est répandu dans l'Occident chrétien à travers les traductions de la Bible et le croisement des textes bibliques avec les légendes grecquesdeScyllaetUlysse[2].
Dans l'Odyssée, au VIIIe siècle avant notre ère, Homère ne décrit pas les sirènes au sujet desquelles la magicienne Circé met en garde Ulysse contre leur charme mortel, mais les Grecs figureront ces monstres maritimes dans leur art comme des oiseaux à tête de femmes[3].
Dans le livre III de l'ÉnéidedeVirgile, Scylla, la nymphe sicilienne aimée de Glaucos et changée en monstre marin par la jalousie de Circé, est décrite ainsi: « Confinée dans une caverne aux sombres recoins, elle laisse apparaître sa tête et attire les navires sur les rochers. Par le haut, elle a figure humaine, vierge au tronc admirable jusqu'au pubis ; par le bas, c'est un monstre marin difforme comportant une queue de dauphin jointe à un ventre de loup[4]. ».
Dans le livre d'Hénoch (19:2) le mot éthiopien tsedanât sera traduit en français par « sirènes » dans un passage évoquant les femmes coupables d'avoir séduit les Veilleurs : « Quant à leurs femmes, qui ont séduit les anges, elles deviendront des Sirènes[5] ».
Le mot σειρηνες, sirène en grec, a été utilisé dans la Septante pour traduire le mot hébreu thannim (Esaïe 34,13), pluriel de chacal, génie des lamentations à cause de son cri plaintif comme les sirènes pleureuses des tombeaux : « Et des arbres épineux croîtront dans ses villes et dans ses forteresses ; elles seront l'asile des sirènes et l'abri des passereaux[6]. ». Un terme proche thannin, désignant en hébreu un monstre marin, un dragon, permettait un rapprochement avec les sirènes insulaires de l'Odyssée. Le même mot σειρηνες, traduit dans la Septante le mot hébreu Yà ãnâh (Esaïe 13,21), l'autruche, la fille du désert ici sous forme d'oiseau. La sirène populaire grecque et le démon féminin juif Lilith étaient tous les deux localisés tant dans le désert que dans la mer[2].
Au IIe siècle, le Physiologus, un bestiaire, traité sur les animaux dans la Bible, qui se répand dans sa traduction du grec en latin, décrit ainsi les sirènes : « Elles ont jusqu'au nombril une forme humaine, le reste du corps est celui d'un volatile. Ces êtres maléfiques attirent par leurs chants les marins et après les avoir endormis, les attaquent et déchiquètent leur chair[7]. ».
La description des sirènes d'Ulysse par Hygin « ces êtres sont femme par le haut du corps et oiseau par le bas » est reprise dans les commentaires chrétiens de la légende païenne d'Ulysse chez Saint Ambroise, Maxime de Turin, Servius, Saint Jérôme, Isidore de Séville.
La figure de la sirène à queue de poisson apparaît au VIIe siècle dans le ''Liber monstrorum'' (en) un manuscrit anglo-saxon attribué à Aldhelm. Ce traité cherche à répondre à la question de Saint-Augustin de savoir si certains monstres qu'il énumère doivent être considérés comme descendant d'Adam et de Noé. Il s'inspire des listes de monstres de Saint-Augustin mais aussi de Virgile et d'autres auteurs antiques. La sirène y tient une place importante car elle est citée dans la préface comme « une certaine fille habitante de la mer, laquelle a la tête d'un être doué de raison ». Il décrit les sirènes dans le traité comme « des filles de la mer qui charment les marins par leurs belles formes et la douceur de leurs chants ». Ce sont des « jeunes filles aux traits humains jusqu'au nombril et ont une queue de poisson qui est toujours plongée dans l'eau »[7].
Au début du XIIe siècle, le moine et poète anglo-normand Philippe de Thaon décrit ainsi la sirène dans son bestiaire en partie inspiré par le Physiologus : « La sirène vit dans la mer, elle chante à l'approche de la tempête et pleure quand il fait beau. Elle est faite comme une femme jusqu'à la ceinture, a les pieds d'un faucon et la queue d'un poisson. »[8].
LeLiber de Natura RerumdeThomas de Cantimpré, une encyclopédie du XIIIe siècle, s'inspire à la fois du Liber monstrorum et de Philippe de Thaon dans sa description : « Les sirènes sont femmes par le haut du corps, le reste du corps est comme celui d'un aigle et à l'extrémité elles ont une queue de poisson[7].». Dans ce manuscrit figure une illustration avec un moine de la mer, un personnage avec une tête d'homme et un corps de poisson.
Pour les Scandinaves, la sirène est un monstre redoutable appelé Margygr (la« géante de mer »)[réf. souhaitée]. L'œuvre norvégienne Konungs skuggsjá (Miroir royal en vieux norrois) la décrit comme une avenante créature ressemblant à « une femme en haut de la ceinture, car ce monstre avait de gros mamelons sur la poitrine, comme une femme, de longs bras et une longue chevelure, et son cou et sa tête étaient en tout formés comme un être humain ». Ce monstre paraissait grand, avec un visage terrible, un front pointu, des yeux larges, une grande bouche et des joues ridées.
Créée en 1835 par l'écrivain danois Hans Christian Andersen, la légende moderne de la sirène continue de faire des vagues, elle n'est plus la terrible tentatrice, mais devient une héroïne romantique, qui cherche l'amour, telle Ondine qui offre son âme à l'homme qui voudra bien l'épouser. Le dessin animé de Walt Disney, La Petite Sirène, reprend des éléments issus de la culture populaire et du conte d'Andersen.
Les bestiaires médiévaux décrivent les sirènes comme des femmes « de la tête aux cuisses » et poissons de « là jusqu'en bas avec des griffes et des ailes » dans un syncrétisme qui noue les traditions fabuleuses des mythologies grecque et germanique. Elles ont laissé à la postérité leur image gravée dans la pierre des stèles, des tombeaux ou des églises romanes où elles personnifient l'âme des morts[réf. nécessaire]. Durant la période romane, elle a souvent été associée à l'image de la luxure[9],[10]. Une chronique islandaise de 1215 décrit une femme-poisson, nommée Masgugue, comme ayant le corps d'une femme jusqu'à la taille, avec une poitrine abondante, une chevelure éparse et des doigts palmés[11],[12].
Dans de nombreux récits, les sirènes sont représentées avec un miroir et un peigne. Selon Édouard Brasey, ces créatures océaniques se regardent dans un miroir, qui symbolise la planète Vénus dans la tradition astronomique. Aphrodite, Vénus pour les Romains, peut être rapprochée des sirènes pour plusieurs raisons. D'une part par son lien à la mer : elle serait arrivée sur Terre par la mer dans un coquillage. D'autre part, Aphrodite est une déesse de la beauté, ayant pour attribut un miroir, un trait qu'on retrouve chez les sirènes, attachées à leur beauté. Les sirènes, tout comme Aphrodite, personnifient donc la beauté, ce sont celles qu'on choisit toujours et dont le charme fait des victimes. Même si elle n'est pas pourvue de queue de poisson, Aphrodite serait « l’ancêtre des sirènes et la protectrice des marins »[13].
Les anglophones emploient le terme siren pour une sirène antique (mi-femme, mi-oiseau) et mermaid pour une sirène scandinave (avec une queue de poisson).
De nombreuses légendes européennes font état de sirènes, vivant non seulement dans la mer, mais aussi dans les rivières et les petits cours d'eau[14]. Elles portent le nom de sirènes ou des noms vernaculaires (ondines, nixes dans le domaine germanique, dragasoudonas d'aiga — dames d'eau — en Occitanie, etc.), mais leur description est généralement conforme à l'imagerie traditionnelle : des êtres moitié femme et moitié poisson. Selon certains récits, elles sont immortelles ; les deux premiers siècles de leur vie, elles s'amusent et découvrent l'océan, mais ensuite, elles se sentent seules et veulent aimer et se faire aimer par un humain. Elles sont généralement représentées avec une queue de poisson d'un seul tenant ou divisée en deux.
Le terme de « sirène » a embrassé un certain nombre de représentations très différentes issues de l'Antiquité, qui ont progressivement perdu en prestige et en crédibilité dans une Europe médiévale beaucoup moins tournée vers la mer. Selon l'historien médiéviste Michel Pastoureau, contrairement à la licorne, dès la fin du XIIIe siècle, pratiquement « plus personne n'y croit »[15].
(Dans le vaudou haïtien, héritier du vaudou du Dahomey, la sirène est Mami Wata après les rituels dédiés à la déesse des Eaux pour la fécondité de la femme et dont la principale demeure est l'Océan. Le maître (Hougan) ou la maîtresse (Mambo) de cérémonie lui demande de répéter : « Mamui Ata », ce qui veut dire : « je serre les jambes », afin de garder pendant un moment ce que la déesse a ensemencé. Avec le temps, on nomma la déesse « Amuia Ata », et avec les déformations phonétiques successives, le nom « Mamui Ata » est devenu « Mami Wata », que l'on croit être une adaptation de l'anglais. Elle est aussi appelée Iemanja dans la tradition du vaudou haïtien ; un culte spécial lui est même consacré (en Haïti, elle n'est pas appelée Iemanja mais plutôt Simbi ; Iemanja est plus usité à Cuba ou au Brésil). C'est la mère des eaux ; déesse crainte des pêcheurs, elle symbolise aussi bien la mer nourricière que l'océan destructeur. Mami Wata est avant tout une divinité éwé dont le culte est très présent sur la côte atlantique du Togo (mais aussi au Nigeria, au Cameroun et au Congo-Brazzaville), où elle symbolise la puissance suprême, de même que la déesse Durga du panthéon hindouiste symbolise la shakti. Mami Wata est souvent représentée en peinture où elle figure sous les traits d'une sirène ou d'une belle jeune femme brandissant des serpents par tous les côtés.)[réf. souhaitée]
Il se peut que l'origine des sirènes se trouve dans les récits des navigateurs, qui les confondaient avec des animaux marins rares, comme les lamantins ou les dugongs[16]. Dans une logique évhémériste, la longue queue des lamantins, leurs mamelles, qui évoquent des seins, ainsi que leurs cris plaintifs sont rapprochés de l'apparence physique et des chants que la tradition prête aux sirènes[16]. Il semble probable que Christophe Colomb ait pris des mammifères marins de ce type pour des sirènes.
En1403, près d'EdamenHollande, un spécimen aurait été capturé par deux jeunes filles. Mais il s'agissait d'une femme, trouvée nue dans l'eau et ne parlant aucune langue connue, qui fut surnommée la « sirène d'Edam ». Elle vécut avec les humains pendant plusieurs années et aurait été enterrée selon les rites de la religion chrétienne.
AuXVe siècle, le naturaliste allemand Johannes de Cuba les fait vivre dans des gouffres au fond des mers. « On les trouve souvent dans les mers et parfois dans les rivières », dit de son côté l'écrivain flamand Jacob Van Maerlant.
D'illustres navigateurs ont dit avoir rencontré des sirènes : Christophe Colomb, en 1493, en aurait vu trois près des côtes de Saint-Domingue, « mais elles n'étaient pas aussi belles qu'on les décrit… », un avis qui n'est pas partagé par les marins d'un navire américain qui ont observé, vers 1850, près des îles Sandwich (Hawaï), une sirène « d'une grande beauté qui ne cédait en rien aux plus belles femmes ». Ces sirènes sont certainement des mammifères marins, tels les lamantins et les dugongs, qui vivent dans les eaux peu profondes des archipels, des lagunesetestuaires.
Des pastiches de sirènes « desséchées » sont fabriqués dès le XVIe siècle (qui voit le retour des grands voyages) et exposés dans les foires et les musées. Au XVIIe siècle, à Leyde, un certain Pavio dissèque une sirène en présence du célèbre médecin Johannes de Laet, apportant un certain crédit scientifique à l'animal fabuleux. La tête et la poitrine sont humaines mais, du nombril au pied, l'être est informe et sans queue. Mais c'est surtout au XIXe siècle qu'ils attirent les foules. Ces monstres sont fabriqués au Japon, en Inde ou en Chine. Le haut du corps est constitué d'un buste d'orang-outan ou de guenon et la queue est celle d'un gros poisson. Des fœtus atteints d'une déformation telle que la sirénomélie (une seule jambe centrale au lieu de deux) peuvent également avoir participé au mythe, mais cette grave mutation ne permet généralement pas la survie de l'enfant, ce qui limite la possibilité de se procurer de grands squelettes[17].
En 1758, les sirènes font l'objet d'une courte note dans le Systema naturaedeCarl von Linné[18] (ouvrage qui fonde la classification scientifique du vivant) sur la base d'un spécimen brésilien dont il juge la description « paradoxale », et qu'il range à côté des mammifères en « incertae sedis ». En 1831, Georges Cuvier les place, toujours avec méfiance, parmi les amphibiens (malgré la présence alléguée d'oreilles) dans son Règne animal distribué d'après son organisation[19]. Par la suite, ce taxon est rapidement abandonné des classifications scientifiques faute de spécimens ou de descriptions crédibles[20].
Bien que l'existence des sirènes ne soit plus envisagée par les scientifiques depuis le XIXe siècle[20], certains scientifiques ont continué de s'intéresser, avec plus ou moins de sérieux[21], à ces animaux fabuleux, notamment en tant que modèle d'étude virtuel ou pédagogique pour montrer le fonctionnement d'une démarche scientifique à partir d'un nombre d'informations limitées[22] (cela fut également fait avec les licornes[23]). Le grand océanologue américain Karl Banse leur a par exemple consacré un article en 1990 dans la très sérieuse revue Limnology and Oceanography[20], où il infère le mode de vie, la répartition et l'évolution hypothétiques des sirènes à partir des quelques sources qui avaient pu être considérées crédibles plusieurs siècles plus tôt. Selon lui, les sirènes seraient des mammifères marins et n'auraient donc pas d'écailles (celles-ci étant rajoutées par les artistes n'ayant pas vu de spécimen réel, comme cela se fit longtemps pour les dauphins), et leur corpulence limiterait leur répartition aux eaux les plus chaudes des tropiques (d'où la séparation en plusieurs espèces, par bassin océanique). Toujours selon Banse, les sirènes auraient un mode de vie agricole (algues, mollusques) relativement peu évolué technologiquement du fait de l'impossibilité de produire du feu sous l'eau, mais avec un système social assez avancé ; elles complèteraient éventuellement leur régime alimentaire par de la chair humaine, ce qui expliquerait leur habitude de charmer les marins pour les emmener dans les profondeurs[20].
À l'inverse, certaines études se sont intéressées aux problèmes biologiques qui empêchent l'existence d'êtres comme les sirènes. Plusieurs paramètres physiologiques rendent en effet impossible qu'un animal d'une telle apparence puisse être viable[24] :
L'idée d'un primate s'adaptant à un mode de vie exclusivement aquatique n'est pas inenvisageable scientifiquement, mais cela demanderait des millions d'années d'évolution et des modifications corporelles considérables (ce fut par exemple le cas des cétacés, des siréniens et des pinnipèdes), et cet animal ne pourrait plus survivre en surface, le métabolisme nécessitant des adaptations majeures (impossible de boire de l'eau douce, par exemple).
Il existe cependant une théorie du primate aquatique[25] qui postule que certains caractères propres à l'homme (absence de poils, bipédie, nez, etc.) seraient des adaptations à une vie amphibie (mais pas maritime). Cette théorie n'est cependant pas confirmée scientifiquement, et reste considérée comme fantaisiste en l'absence d'éléments paléontologiques concrets.
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