Défenseur du naturalisme à ses débuts - comme en témoignent ses romans Marthe, Les sœurs Vatard,En ménageetÀ vau-l'eau - fervent disciple d'Emile Zola, il devient le principal représentant du mouvement décadent avec la publication d'À rebours en 1884. Dans ce roman qui dépeint la retraite loin du monde d'un aristocrate dandy, esthète et misanthrope cherchant à fuir le réel par l'Art et l'artifice, il rompt résolument avec l'esthétique naturaliste. Il s'illustrera également dans le genre du poème en prose, après BaudelaireetAloysius Bertrand.
Il se rattache désormais au symbolisme et s'intéresse au surnaturel en manifestant son intérêt marqué pour les rêves avec notamment En rade (1886) puis au satanisme avec Là-bas (1891) avant de se convertir au catholicisme, dépassant ainsi son admiration pour Schopenhauer. Cette conversion se reflétera dans ses grands romans religieux comme En route (1895), La Cathédrale (1898) ou L'Oblat (1903). Huysmans définit dès Là-Bas un nouveau courant littéraire plus en accord avec ses aspirations et auquel se rattacheront désormais ses romans, le naturalisme spiritualiste.
Son œuvre est imbibée d'un pessimisme fondamental et d'une aversion pour le réel et son époque qu'il cherche à compenser par la passion de l'Art et plus tard par la foi, mettant ainsi souvent en scène un même personnage désabusé, ennuyé, cherchant à remédier à ses grises mélancolies et tourmenté parfois par des rêves étranges. Son style, d'une grande originalité, se caractérise avant tout par une débauche d'adjectifs et la recherche de mots rares, des épithètes excentriques sur une syntaxe torturée, ainsi que par une très grande puissance de suggestion.
Huysmans naît le au 11 (actuel no9), rue Suger dans le 6e arrondissementdeParis, d'un père néerlandais du nom de Godfried Huysmans, lithographe de profession, et d'une mère française, Malvina Badin, maîtresse d'école. Il passe toute son enfance dans cette maison. Il fit toute sa carrière au ministère de l'Intérieur, où il entra en 1866.
En 1880, il collabore au journal Le Gaulois, hostile à l'expulsion des jésuites décrétée par le gouvernement. Sous la pression de ses supérieurs hiérarchiques, il cesse sa collaboration.
En tant que romancier et critique d’art, il prit une part active à la vie littéraire et artistique française dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu’à sa mort, en 1907.
Défenseur du naturalisme à ses débuts, il rompit avec cette école pour explorer les possibilités nouvelles offertes par le symbolisme, et devint le principal représentant de l’esthétique fin de siècle. Dans la dernière partie de sa vie, il se convertit au catholicisme, renoua avec la tradition de la littérature mystique et fut un ami proche de l'abbé Mugnier.
Atteint d’un cancer de la mâchoire, J.-K. Huysmans mourut célibataire à son domicile parisien du 31, rue Saint-Placide (où une plaque lui rend hommage) le , et fut inhumé à Paris au cimetière du Montparnasse (division 2).
La Société J.-K. Huysmans fut créée après sa mort à l’initiative de son ami le romancier Lucien Descaves.
En 1874, Huysmans fait paraître à compte d'auteur un premier recueil de poèmes en prose intitulé Le Drageoir aux épices. Au carrefour des esthétiques décadentiste, naturaliste et romantique, il s'agit d'un mélange hétéroclite de pièces de prose poétique, où l’auteur rend hommage aux peintres hollandais et flamands (Rembrandt, Rubens, Brouwer, van Ostade, Bega…) et à la poésie de François Villon. Si cette œuvre de jeunesse laisse deviner l'influence marquée du romantisme — Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand — ou de la poésie moderne — les Petits poèmes en prosedeBaudelaire — elle témoigne cependant déjà d'un talent d'écrivain réaliste et d’un intérêt marqué pour l'esthétique naturaliste développée à la même époque par Émile Zola.
En 1876, Huysmans publie son premier roman, d'inspiration ouvertement naturaliste, Marthe, histoire d'une fille, qui a pour thème la vie et les déboires d’une jeune Parisienne contrainte par une société cupide et sans scrupules à aller jusqu'à se prostituer pour survivre. Craignant la censure qui sévit alors en France, Huysmans fit d’abord éditer ce roman à Bruxelles.
La même année, il se lie d'amitié avec Émile Zola, dont il prend la défense dans un vibrant article consacré à son dernier roman, L'Assommoir. Cet article reste dans l'histoire de la littérature comme un des tout premiers manifestes en faveur du naturalisme.
Son deuxième roman, Les Sœurs Vatard, qui suit également la veine naturaliste, paraît en 1879, accompagné d'une dédicace à Zola, qu’il reconnaît comme son maître en littérature.
Dès lors, Huysmans appartient au petit groupe des jeunes écrivains reçus par Zola dans sa villa de Médan. Il y fréquente Guy de Maupassant, Léon Hennique, Henry CéardetPaul Alexis avec lesquels il collabore, en 1880, à la publication, sous l'égide de Zola, du recueil collectif de nouvelles naturalistes intitulé Les Soirées de Médan, dans lequel il insère Sac au dos, un récit ironique et antipatriotique de son expérience de civil mobilisé durant la Guerre de 1870.
En ménage, roman publié l’année suivante, et surtout À vau-l'eau, une longue nouvelle parue en 1882, peignent les existences ternes et sans saveur d’anti-héros usés par « cette vie moderne atroce[4] », et dont les idées noires sont imbibées des préceptes pessimistesdeSchopenhauer[5]. Dans ce texte original, Huysmans décrit l’histoire l’épopée de Jean Folantin, un « hypocondriaque célibataire désespérément en quête d'un restaurant en mesure d'offrir un repas passable, à peine mangeable »[6].
Huysmans développe dans ses romans une « philosophie existentielle de la vie »[7]. Il gardera de cette période une puissance d'évocation exceptionnelle dans ses descriptions architecturales, comme le Cycle de Durtal en témoigne dans les nombreuses pages consacrées aux édifices religieux.
Après avoir lu À rebours, l’écrivain catholique Barbey d’Aurevilly avait prédit que Huysmans aurait un jour à choisir entre « la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix[8] », dans un article du Constitutionnel du 28 juillet 1884, repris dans le volume Le Roman Contemporain paru en 1902.
Il commence alors de s'intéresser au surnaturel, et En rade porte la trace d'un intérêt marqué pour le rêve comme échappatoire face à un réel révulsant.
Aussi, après le « livre noir » que fut Là-bas, où apparaît un profond antiméridionalisme, Huysmans envisage d’écrire un « livre blanc », qui explorerait l’univers de la mystique chrétienne, à travers une forme littéraire totalement inédite qu’il baptise le « naturalisme spiritualiste»[4],[9],[10]. Ce roman, intitulé En route (1895), retrace les étapes successives de la lente et douloureuse conversion de son auteur à la religion catholique.
Dans La Cathédrale, un roman très documenté que Huysmans publie en 1898, il étudie la symbolique chrétienne dans le cadre à la fois majestueux et romanesque de la cathédrale de Chartres. À la même époque, il explore les trésors de l’architecture religieuse de Paris et compose plusieurs monographies et études historiques sur divers monuments[11]. Il s’intéresse alors à toutes les formes de l’art sacré, depuis la littérature mystique (Jean de Ruisbroek, Thérèse d'Ávila…), jusqu’au plain-chant, en passant par la peinture et la sculpture religieuse.
Après s'être retiré dans plusieurs monastères (La Salette, Igny, Solesmes, Saint-Wandrille…), Huysmans quitte Paris en 1899 pour s’installer définitivement dans le petit village de Ligugé, près de Poitiers dans la Vienne, où il s’est fait bâtir une demeure à proximité de l’abbaye bénédictine Saint-Martin. Là, il partage la vie quotidienne des moines et se prépare à devenir oblat. Mais en 1901, la loi sur les associations vient dissoudre la communauté de Saint-Martin, poussant les moines à l’exil et obligeant Huysmans à rejoindre Paris. Après avoir publié une hagiographie consacrée à la mystique chrétienne sainte Lydwine de Schiedam (1901), Huysmans racontera son expérience de la vie monastique dans L'Oblat (1903).
À travers les trois romans qu’il publia consécutivement à sa conversion (En route, La Cathédrale, L’Oblat), Huysmans annonce le grand mouvement de conversions littéraires que vont connaître les Lettres françaises au début du XXe siècle avec des auteurs comme Paul Bourget, Charles Péguy, Ferdinand Brunetière, Paul Claudel, Léon Bloy ou encore François Mauriac[12].
Il est le premier écrivain à avoir utilisé le terme de « garçonne »[13].
Huysmans était le descendant, par son père, d'une lignée d'artistes peintres flamands. Certains tableaux du plus célèbre de ses ancêtres, Cornelis Huysmans, peintre à AnversauXVIIe siècle, figurent aujourd’hui à Paris au musée du Louvre. Aussi, Huysmans, qui avait modifié son prénom d’état-civil (Georges-Charles) pour adopter un prénom aux sonorités évoquant mieux ses origines hollandaises (Joris-Karl), débuta en publiant des descriptions de tableaux de peintres hollandais : « Le Bon compagnondeFrans Hals » (1875) et « Le CellierdePieter de Hooch » (1875).
À partir de 1876, Huysmans collabore, en tant que chroniqueur d’art, à différents journaux pour lesquels il rédige des comptes rendus des Salons de peinture. À cette occasion, il découvre les tableaux de plusieurs jeunes artistes indépendants qui exposent à l’écart des Salons officiels, où leurs œuvres sont systématiquement refusées par le jury. Il s’enthousiasme pour Édouard Manet, dont il vante un tableau intitulé Nana : « Nana est incontestablement l’une des meilleures toiles qu’il ait jamais signées. […] Elle est supérieure à beaucoup des lamentables gaudrioles qui se sont abattues sur le Salon de 1877[14] ». Dès lors, Huysmans prend la tête du combat visant à imposer l’impressionnisme au public, auquel il fait successivement découvrir les œuvres de Claude Monet, Edgar Degas, Gustave Caillebotte, Paul Cézanne, Camille Pissarro, Paul Gauguin, Georges Seurat, Jean-Louis Forain… Il fut par ailleurs un opposant farouche à l’art salonnier dont il fustige les principaux représentants : Alexandre Cabanel, Jean-Léon GérômeouCarolus-Duran.
Il réunira par la suite ses nombreuses chroniques d’art dans deux recueils[15] : L’Art moderne (1883) et Certains (1889). Claude Monet, après les avoir lus, dira : « Jamais on n'a si bien, si hautement écrit sur les artistes modernes. »EtStéphane Mallarmé verra en Huysmans « le seul causeur d'art qui puisse faire lire de la première à la dernière page des Salons d'antan, plus neufs que ceux du jour. »[16]
Gallimard a réuni une partie importante de son œuvre dans un volume de la Bibliothèque de la Pléiade. La publication, dirigée par l'écrivain Pierre JourdeetAndré Guyaux, professeur de littérature, avec notamment la collaboration de Gaël Prigent et Jacques Dubois est sortie le [20],[21],[22]. Il ne s'agit pas d'Œuvres complètes mais d'un volume intitulé Romans et nouvelles, qui réunit l'œuvre narrative publiée par Huysmans, de Marthe (1876), son premier roman, à En route (1895), le roman de la conversion.
La création de la Pléiade de Huysmans est présentée de manière fictionnelle dans le roman SoumissiondeMichel Houellebecq dont le personnage principal, fasciné par Huysmans et professeur à la Sorbonne est chargé de guider cette Pléiade.
↑Rudy Steinmetz, « Huysmans avec Schopenhauer : le pessimisme d’À rebours », Romantisme, vol. 18, no 61, , p. 59-66 (lire en ligne, consulté le ).
↑Marco Modenesi, « Le héros à la table. À vau‑l’eau ou le piège gastronomique », Études françaises, volume 23, numéro 3, hiver 1987, p. 77 (lire en ligne).
↑Jules Barbey d’Aurevilly, « À rebours », Le Constitutionnel, (28 juillet 1884).
↑Céline Piot, « La fabrique de l'autre : l'anti-méridionalité au XIXe siècle », Klesis, no 38, , p. 45-73 (lire en ligne).
↑ aetbJean-Marie Seillan, « Nord contre Sud. Visages de l'antiméridionalisme dans la littérature française de la fin du XIXe siècle », Loxias, no 1, (lire en ligne).
↑Ces textes ont été réunis dans deux recueils : J.-K. Huysmans, À Paris (Bartillat, 2005) et Les Églises de Paris (Éditions de Paris, 2005).
↑Jules Sageret, Les Grands Convertis, Société du Mercure de France, 1906.
↑« LaNana de Manet », L’Artiste (Bruxelles), 13 mai 1877 ; rééd. dans J.-K. Huysmans, Écrits sur l’art (1867-1905), Éd. Patrice Locmant, Paris, Bartillat, 2006
↑L’ensemble des écrits esthétiques de Huysmans ont depuis été réunis en une édition complète : J.-K. Huysmans, Écrits sur l’art (1867-1905), édition établie et préfacée par Patrice Locmant, Paris, Éditions Bartillat, 2006.
↑Stéphane Mallarmé, Correspondance Tome II, Paris, Gallimard, , p. 241.
Pierre Cogny, Huysmans : À la recherche de l’unité, Paris, Nizet, 1953.
Gustave Vanwelkenhuyzen, Insurgés de lettres : Verlaine, Bloy et Huysmans, Paris, Renaissance du livre, .
Charles Maingon, L’Univers artistique de J.-K. Huysmans, Paris, Nizet, 1977.
Monographie éditée par la BNF : Joris-Karl Huysmans : du naturalisme au satanisme et à Dieu, Bibliothèque nationale, , 144 p. (ISBN978-2-7177-1490-6, lire en ligne).
Jérôme Solal, Huysmans avant Dieu, Paris, Classiques Garnier, .
Jérémy Lambert, Peinture et bibelot. Prégnance du pictural dans l’œuvre de Joris-Karl Huysmans, Paris, Honoré Champion, 2012.
Joanny Bricaud, J.-K. Huysmans et le satanisme : d'après des documents inédits, Paris, Bibliothèque Chacornac, , 77 p. (lire en ligne).
Joanny Bricaud, Huysmans, occultiste et magicien : avec une notice sur les hosties magiques qui servirent à Huysmans pour combattre les envoûtements, Paris, Bibliothèque Chacornac, , 43 p. (lire en ligne).
Carine Roucan, Le « Roman de Durtal » : une autofiction ?, Sarrebrück, Ed. universitaires européennes, 2015.
Jérôme Solal, Huysmans avec Dieu, Paris, Classiques Garnier, .
Dominique Millet-Gérard, Le Tigre et le Chat gris. Vingt études sur Léon Bloy et Joris-Karl Huysmans, Classiques Garnier, 2017.